vendredi 18 octobre 2013

Le pompon.








« Ah ça, c’est le pompon ! »

Ainsi s’exprimait mon grand-père lorsqu’il réagissait à quelque déclaration scandaleuse entendue à la téhessèfe. Que dirait-il aujourd’hui en contemplant l’affligeant spectacle que présente aujourd’hui notre pays en particulier à l’occasion de l’affaire dite de "Léonarda" ?

L’imagination et le vocabulaire me manquent pour répondre à cette question. C’est pourquoi je me bornerai à reprendre les termes  de mon aïeul. Mais au fait, à quel personnage  politique pourrait être décerné ce pompon ?

J’ai un sérieux candidat à proposer,  qui jusqu’à présent, en matière d’ineptie,  n’était pourtant pas plus en vue qu’un autre : Claude Bartolone. Dans  un touit inspiré, il n’a pas hésité à écrire à propos de l’expulsion de la jeune fille et sa famille: "Il y a la loi. Mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la Gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme".

Cela doit signifier qu’existe un corps de règles mystérieux et sacré-qui ne se confond en rien avec la loi- et que tous doivent respecter dès lors que la Gauche est au pouvoir. La sanction qui résulte de toute transgression revêt un caractère tragique : la Gauche y perdrait son âme.





Une rapide analyse de ce texte s’impose.

Commençons par la fin : les conséquences du non-respect des « valeurs avec lesquelles la Gauche ne saurait transiger » (ci-après « VALLS ») . 

Dans cette hypothèse funeste, on notera que l’auteur de l’infraction, c'est-à-dire celui convaincu de transiger avec les VALLS, n’est pas directement sanctionné. C’est la Gauche qui l’est par perte de son âme. Voilà donc une étrange conception du droit pénal selon M. Bartolone : la peine ne frappe pas le délinquant mais une seule et autre entité, d’ailleurs  sans personnalité juridique : « la Gauche ». Politiquement, puisque M. Bartolone  revendique appartenir à « la Gauche », il entend donc frapper le parti auquel il appartient, voilà ce qui s’appelle marquer contre son camp !




 
Il est vrai que ladite peine s’avère quelque peu énigmatique : il s’agit de la perte d’âme. On ignorait que « la Gauche » en avait une. Passons. On se perd en conjectures quant aux modalités d’application envisageables. Faudra-t-il ressusciter le bourreau de Béthune pour procéder à une âmectomie   sur la Gauche dans les règles de l’art ? Ou bien cette ablation de l’âme s’effectue-t-elle spontanément à  la seule constitution du délit ? En cas d'infractions successives, il faudrait que la gauche n'ait pas une seule âme, mais plusieurs, ou qu'elle repousse comme la queue d'un lézard, condition nécessaire pour qu'il puisse lui être infligée plusieurs décollations. La gauche peut-elle survivre à ce supplice, ou bien passera-t-elle de vie à trépas de ses suites ? Mais dans cette dernière hypothèse on assisterait alors à un retour sournois de la peine de mort ! M. Bartolone a-t-il mesuré les conséquences de ces propos ? 

En deuxième lieu, on observera que M. Bartolone, dans un louable souci de concision, ne précise pas quel est le contenu des VALLS. C’est tout de même bien fâcheux, car alors chacun pourrait commettre une infraction sans le savoir.  Et puis c’est tout de même tenir pour peu les célèbres adages juridiques « nul n’est censé ignorer la loi » et « pas de crime, pas de peine, sans loi ». Ah oui, c’est vrai, nous ne parlons pas des  lois, mais des VALLS.   Et qu’est-ce que les VALLS peuvent bien avoir à faire des adages juridiques?

Dans le dossier en cours, on croit comprendre qu'une des prescriptions des VALLS serait l'interdiction d'une interpellation régulière dans une enceinte scolaire. Est-ce tout ou faut-il en prévoir d'autres ?...

On glissera rapidement sur le contenu même du délit. M. Bartolone évoque une « transaction »avec les VALLS qui le constituerait. Des esprits chagrins relèveraient qu’il vaut mieux une mauvaise transaction qu’un bon procès et s’étonneraient qu’une  attitude conciliante  puisse faire tomber la Gauche sous le coup de la sanction imaginée par M. Bartolone. Mais sans doute a-t-il voulu en termes doux signifier « transgression », ou quelqu’autre terme approchant. Ne chipotons pas.

Venons-en maintenant à l’essentiel, c'est-à-dire le rôle  et la place desdites VALLS comme source de droit  parallèles ou supérieures à la loi. M. Bartolone reconnait certes qu’il y a la loi, un peu à regret. Mais pour ajouter aussitôt avec enthousiasme qu’il faut y ajouter les VALLS. Les observateurs trop distraits ne l’avaient jusqu’à présent pas remarqué. 

Ces VALLS se situeraient donc quelque part dans la pyramide des règles qui s’imposent à tous, y compris à l’Etat. A côté des lois? Mais alors comment se résout un conflit entre ces deux règles ?  Ou alors entre les règles  constitutionnelles et législatives ? Ailleurs ? sur quel fondement et en vertu de quelle légitimité ? quelle tribunal serait compétent pour prononcer la peine susdite ? …

Il faudrait bien disposer de ces précisions techniques afin que l’Etat français puisse en faire bénéficier Léonarda et éviter ainsi à la Gauche une cruelle amputation de son âme.

On le voit, et sans épuiser le sujet, la proclamation bartolomesque et touitée précitée soulève de passionnantes questions juridiques auxquelles seul son auteur pourrait répondre clairement.





Un détail me vient subitement à l’esprit : que fait M. Bartolone dans le civil ? Je vous le donne en mille : président de l’Assemblée Nationale. Et l’Assemblée Nationale, c’est bien le législateur, n’est-ce pas (*) ? 

Nous vivons par conséquent une époque formidable et de progrès où le premier responsable de l’élaboration de la loi en France peut déclarer sans sourciller qu’elle  compte peu par rapport à des valeurs obscures et inconnues qu’il entend néanmoins défendre, fusse au moyen des modalités burlesques évoquées précédemment.

On attend avec impatience qu’il en informe ses collègues du haut de son perchoir. Succès garanti !

Et on en vient en conclusion à lui décerner le pompon de mon grand-père. Haut la main !

(*)avec le Sénat.