mercredi 5 mars 2014

Français de .....





Deux récents épisodes médiatiques viennent de remettre un court instant sur le devant de la scène la question de la place qu’occupent les « français de souche » en France. A n’en pas douter, on ne parlera plus de ce sujet pendant longtemps, puisque la pensée dominante ne l’apprécie guère. Alors, j’en profite pour exprimer quelques modestes réflexions. 

On passera rapidement sur les faits eux-mêmes, qui ont été rapportés et commentés moulte fois dans la presse et sur internet. Lors d’une émission télévisée consacrée au ministre de l’Intérieur, Alain Finkielkraut a évoqué l’existence de « français de souche qu’il ne faudrait pas oublier». Il s’en est suivi une plainte portée par deux membres du parti socialiste à l’instance compétente.  A l’occasion de l’émission « On n’est pas couché » du 3 mars, Denis Tillinac a employé cette même expression, vertement critiqué par ses interviouveurs  Aymeric  Caron et Laurent Ruquier,  puis tancé par un rappeur invité dont je n’ai pas retenu le nom.

Ces incidents soulèvent des interrogations très nombreuses, et je n’aurais pas la prétention de les épuiser toutes. Je me contenterais de n’en aborder que certaines d’entres elles.

Aymeric Caron, prophète irrité et sociologue pointilleux, demandait à Denis Tillinac, en forme de piège, comment se définit un français de souche. Il sous-entendait, bien entendu, que faute d’une définition précise et juste, l’invocation de cette notion ne saurait se justifier. L’argument est fort discutable. 

En effet, il est tout à fait envisageable de parler de choses mal définies, je dirais même que nous le faisons multi-quotidiennement, sans gêne excessive. Le monde universitaire, lui-même féru à juste titre de définitions rigoureuses et de typologies pertinentes, se heurte à des difficultés sans noms, et produit  des débats homériques sur ce genre de sujets, ce qui ne l’empêche pas de développer théories et raisonnements (dont certaines, oh surprise, s’avèrent justes). 

D’ailleurs, on apprécie bien la rigueur, mais on l’apprécie encore plus lorsqu’elle prétend s’appliquer partout. Or, on observe, pour ne prendre que cet exemple, que les marxistes eux-mêmes, on renoncé à définir la notion de classe sociale, (que soit dit en passant Marx lui-même s’était bien gardé de définir) base de leur dialectique. Ca ne les empêche pas de nous bassiner depuis un siècle avec la lutte des classes, et tutti quanti.

Cet argument théorique étant donc évacué, venons-en à la pratique : est-il si difficile que cela de définir un français de souche ? oui, en un sens, car ce n’est pas dans la tradition française, il est assez désagréable de le faire ( c’est d’ailleurs en cela qu’il s’agit d’un piège caronesque) et  la question en elle-même aurait d’ailleurs parue totalement incongrue il y a seulement vingt ans. De fait, puisqu’il faudrait parait-il répondre, une  solution simple me semble figurer dans l’esprit de celui qui la pose. Puisqu’il n’a de cesse d’évoquer les « français issus de l’immigration », notion pas plus définie que la précédente d’ailleurs,  le "français de souche" est donc celui qui n’est pas issu de l’immigration. 

Et l’on en vient à la première question de fond, exprimée par les contradicteurs de Finkielkraut et Tillinac : existe-t-il un français non issu de l’immigration?

Et bien, à la grande surprise d’Aymeric Caron et du rappeur dont j’ai oublié le blase, je réponds sans ambage : oui. Pourquoi ? Parce que votre serviteur en est un. Qu’est-ce qui me permet de l’affirmer ? Les travaux généalogiques qui démontrent qu’aucun de mes ancêtres, jusqu’au 17 ième siècle au moins, n’est d’origine étrangère. 

Or ce cas personnel n’est en rien original, il n’est en rien intéressant, et je suis persuadé du reste qu’il se confond avec celui d’une proportion majoritaire des français actuels.Il n’y a évidemment aucune fierté, ni aucune honte, ni aucune conclusion politique  à l’observer : c’est un simple fait. Quant à devoir l’exprimer, comme c’est le cas dans ces lignes, je n’en vois l’utilité que  du seul fait des interrogations de ceux qui prétendent qu’un français de souche, « ça n’existe pas ». Mais vraiment, fallait-il devoir aller jusque là ?

Puisque donc  cette simple réalité est obstinément niée, on vient à se poser une autre question : un français non-issu de l’immigration existe-il, est-il sensé exister ?

Puisqu’il serait interdit  de prononcer le mot, puisqu’il faut nier la chose, c’est donc qu’il y a un  impératif à l’escamoter.  Aux yeux des contradicteurs de Finkielkraut et Tillinac, elle doit disparaître d’abord des discours, puis sans doute après de la réalité. Quoique consistant le passé de notre pays, son présent très majoritairement, et espérons-le encore son avenir, le français non-issu de l’immigration n’a pas sa place dans l’espace politique, médiatique, journalistique, et littéraire. Dans notre monde moderne, il n’existe donc  pas. Certains s’en réjouiront : votre serviteur  n’existe pas !

Alors, la partie du peuple  français qui n’a pas l’heur d’avoir des ancêtres étrangers  (pour paraphraser grossièrement Bossuet)  n’est  plus qu’un cadavre, non, pas même un cadavre, mais un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. Français de ….