mercredi 27 septembre 2017

L'Ancien Monde.






Qu'il est loin le temps où se pratiquait la langue française ! La victoire d'Emmanuel Macron et de ses séides est aussi celle d'un vocabulaire inédit qui se superpose à la novlangue en usage depuis longtemps. Ne nous lamentons pas. C'est l'occasion de bien rire d'un ridicule contemporain de plus, et d'essayer humblement par son analyse d'en préciser davantage le caractère. 

Prenons un exemple. Il suffit de tourner le bouton de sa radio, de sa télévision ou de se connecter sur l'appareil internétique de son choix pour entendre parler de manière un peu sibylline de "l'Ancien Monde". Ceux qui  prononcent ces mots, journalistes, chroniqueurs, hommes politiques, s'enflent de prononcer une expression qu'ils considèrent comme si définitive, si opportune et si  avantageuse. En seraient-ils  l'auteur (qui d'ailleurs restera à jamais inconnu), qu'ils n'en tireraient pas de plus grande vanité. Il entre dans cette satisfaction quelque chose du plaisir de n'en être pas, puisque le ton employé par ces locuteurs indique sans ambiguïté qu'ils ne sauraient sans dégoût se situer eux-mêmes ailleurs que dans "le Nouveau Monde".

Mais qu'est-ce donc que cet Ancien Monde (j'y mets volontairement des majuscules). 

Je suppose que cette expression est apparue lorsque l'Amérique été découverte par les européens modernes à la fin du XVeme siècle, ou peut-être après. Puisqu'il y avait alors nouveau monde, il fallait bien qu'il en fut un ancien, qui ne pouvait guère être que l'Europe, auquel, peut-être, on pouvait ajouter l'Orient et l'Afrique. 

Nos modernes macronisés veulent-ils donc s'auto-désigner comme américains, par opposition à un monde ancien européen ? écartons tout de suite cette hypothèse saugrenue. Qu'il s'agisse de l'Amérique du Donald, ou de celle des héritiers de Chavez et Fidel, l'outre-atlantique d'aujourd'hui présente des traits trop vulgaires pour servir d'inspiration à des progressistes inspirés. 

Et d'ailleurs l'Europe, celle de Schuman et Monnet, n'est-ce pas,  pas celle de de Gaulle, of course, présente tant de commodités et de perspectives qu'il n'est rien de plus noble ni de plus urgent que de s'y inscrire  avec une énergie renouvelée (cf discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne hier). 

 L'Ancien Monde n'est donc pas l'Europe, et il nous faut poursuivre ailleurs notre quête. 

Il est en France une expression proche qui est utilisée pour désigner la monarchie d'avant la Révolution de 1789 : l'Ancien Régime. Tocqueville l'utilisait déjà ("L'Ancien Régime et la Révolution").  

Mais il y a plus qu'une nuance entre cet "Ancien régime" et "l'Ancien Monde" de nos macro-compatibles. L'Ancien Régime exprime qu'il y a bien un changement politique profond intervenu à la fin du XVIIIeme siècle en France, ce qui est beaucoup, certes, mais pas plus. Il n'y a pas de modification géographique, encore moins tellurique, et pas davantage de changement d'ère, d'être, d'atmosphère ou de cieux. Le gouvernement s'en trouve bouleversé, mais les territoires, les hommes, et le temps restent les mêmes.

Voilà une ambition par trop mesurée pour des hommes de la stature de  Richard Ferrand et ses amis. Car pour ces titans de l'Histoire de l'Humanité, c'est une fracture totale qui est intervenue le 7 mai 2017. Non seulement notre pays ne sera plus jamais dirigé comme au préalable, mais tout, y compris les dieux que nous adorons, l'air que nous respirons, la terre que nous foulons, l'eau que nous buvons, les paysages que nous contemplons, les personnes avec lesquelles nous commerçons, tout a été irrémédiablement transmuté par l'effet de notre alchimiste de président.

Émergeant de l'Ancien, apparaît en majesté ce Nouveau Monde jupitérien qui nous comble déjà de ses bienfaits et de ses merveilles, par la grâce de La République En Marche. Étrange, d'ailleurs, de se déclarer toujours en marche, lorsque l'on est déjà parvenu à bon port, et quel port, mais on ne s’arrêtera pas à un tel détail. L'essentiel est d'avoir mis fin totalement à l'Ancien Monde.

C'est à dire tout avant le 7 mai : les politiciens véreux, les méthodes douteuses, les promesses non-tenue, les grenouillages occultes, les pollueurs non-payeurs, les présidents normaux, les réactionnaires nauséabonds, les populistes démagogues, les attentats meurtriers, les animateurs radio débiles, les tribuns de la plèbe agités, les bourgeois homophobes, etc, etc...

On comprend mieux la moue dédaigneuse  de ceux qui parlent souvent et volontiers de l'Ancien Monde : ce dernier ne présente pas bien. Il fait désordre avec ses relents de décadence. Et cet avant cacochyme, on le proclame caduc, haut et fort !

 Mais aurait-on besoin de réitérer cet nouvelle si elle était si évidente et si vraie ?

 Je laisse le soin au lecteur de répondre à cette question comme il l'entend.

samedi 2 septembre 2017

Week-end à Dunkerque (2/3)

Les critiques à l’encontre de « Dunkerque » portent également sur le fond du film. Elles sont de plusieurs ordres (1).

Pour certains, l’ensemble manque totalement de vraisemblance et ils dressent des listes de scènes et de circonstances « qui n’ont pu se passer ainsi ». On salue ces témoins tatillons d’un événements survenus pour la plupart d’entre-eux, et au mieux,  plus de 20 ans avant leur naissance. On note simplement que certains anciens combattants, eux,  s’y sont retrouvés, et qu’en matière de crédibilité subjective, cela nous suffit amplement.

Terminons sur ce sujet en rappelant qu’Hitchcock lui-même considérait la vraisemblance comme inintéressante  en matière de cinéma, seul important que le spectateur soit capté par l’action, par l’émotion ou le suspense. Une technique cinématographique aboutie permet de le faire. Or, sur ce dernier point, nous avons déjà exprimé ce qu’il est permis d’en penser.

Pour d’autres, on ne verrait dans ce film que quelques centaines de soldats alignés sur un coin de plage, des carcasses de camions, trois ou quatre avions et  des navires faméliques. Pour décrire une opération Dynamo qui a eu pour effet de permettre le rapatriement de centaines de milliers de soldats sous un intense pilonnage ennemi, ce serait une représentation ridiculement étroite, qui ne se justifierait même pas par un budget restreint (le film a coûté cher).

A ce type d’objections, se rattachent celles qui regrettent une totale absence de vision stratégique, qui aurait pour effet de priver le spectateur d’une perspective sur les origines de l’événement, ses enjeux et ses conséquences.

Cet argument peut s’entendre,  mais il  méconnait l’intention du réalisateur. Son objectif affiché n’est en rien de reconstituer la bataille de Dunkerque, mais de l’évoquer dans un but précis. Il suffit donc que cette évocation soit efficace, qu’importe qu’elle ne soit pas panoramique, et qu’elle ne s’inscrive pas dans la tradition respectable d’un cours d’histoire de la Sorbonne.




Nous réserverons une place particulière à un dernier reproche de fond fait au film de Nolan : l’absence prétendue à l’écran des troupes françaises qui ont pourtant permis le succès de l’opération Dynamo, en assurant la défense de Dunkerque au prix d’énormes pertes (2).

Elle est en partie injuste : des français apparaissent au début du film dans leur rôle (c’est à dire en train de défendre Dunkerque), d’autres tentent de s’embarquer, un français y parvient en se faisant passer pour un militaire anglais, enfin l’officier de marine britannique reste au péril de sa vie après l’embarquement de ses compatriotes, pour s’occuper de celui des français.

Surtout, il est stupéfiant de constater avec quelle vivacité des critiques français reprochent amèrement à un cinéaste anglais de ne pas rendre justice à l’armée française, sans songer un instant à inviter l’ensemble des si brillants metteurs en scene de notre pays à le faire. Mais au fond, pourquoi s’en étonner tant chez nous l’auto-dénigrement et la réticence au récit national est devenu une habitude familière. D’ailleurs, ce n’est venu à l’esprit de personne.

Il y a pourtant un vieux film français dont le sujet est la bataille de Dunkerque : Week-end à Zuydcotte. Remet-il en cause nos réflexions ci-dessus ?

Nous verrons cela dans la troisième partie de cette petite chronique.

(1) Un bon condensé de ce type d'arguments figure en ligne dans la critique de Jacques Mandelbaum, dans le Monde du 19 juillet 2017.
(2) On passera sur le reproche d'un film "trop blanc" par Clara Delente, dans Télérama en date du 2 août 2017.


mercredi 16 août 2017

Week-end à Dunkerque (1/3)





Laissons notre nouveau président de la République jouer sa comédie estivale, et intéressons-nous un peu au cinéma. 

Il a  été beaucoup écrit sur le film de Christopher Nolan « Dunkerque », et par des gens forts compétents. Mon propos n’est donc pas de faire une critique cinématographique de plus, mais plutôt d’en examiner certaines , d’identifier "de quoi elles sont le nom".

À cet égard, il est fait des reproches formels au réalisateur : manque de dialogues, personnages peu esquissés, peu attachants,  accent mis sur l’action, la violence, manque de hauteur de vue, cynisme, absence d’émotion.

Pourtant ce serait bien à tort que le spectateur s’en tiendrait  à la perception d’un film d’action, froid, brutal, et au ras des pâquerettes.

Certes, Dunkerque est en apparence construit  volontairement à la manière d’un implacable thriller comme une multitude de films "pop-corn" actuels. Mais sa structure rigoureuse à l’extrême d'un point de vue formel (manière d'organiser le temps ; les éléments terre,  air, mer et même feu ; bande-son très travaillée) en fait un exemple d'école de cinéma. L'essentiel est que tout cela n’est qu’un moyen pour déboucher sur une émotion patriotique britannique sobre, sincère et émouvante. Pour citer le réalisateur : "Dunkerque est un appel à l’héroïsme collectif". On ne peut mieux dire.

Un exemple : au moment où l’officier de marine anglais en charge de l’évacuation se désespère de trouver les moyens de faire embarquer des troupes vouées à la mort ou à la captivité, il voit dans ses jumelles  se dessiner une immense flottille de petits navires civils venus à la rescousse. On l’interroge, mais de quoi s’agit-il ? « Home, la patrie », répond-t-il, les yeux rougis par le soulagement et l'admiration.

Un autre exemple : la scène finale de l’élégant Spitfire qui,  à cours de carburant,  plane sur la plage de Dunkerque et s’y pose majestueusement. Le pilote y met le feu pour éviter qu’il ne tombe aux mains de l’ennemi.  Il faut peu d’imagination pour  y discerner une poignante vision d’une Europe libre en flamme mais qui persiste dans son refus de sombrer.

Il y a donc du contre-sens dans ces reproches formels et sans doute reposent-ils  sur une incapacité à voir au-delà de ce qu’il y a à voir. Il est à craindre que cela soit le cas d’une grande partie du public, et c’est assurément le cas d’une partie de la critique (or, au passage, n’est-ce pas précisément ce que l’on attendrait de cette dernière ?). 

La question se trouve donc posée de déterminer les raisons de cette incapacité. 

Pour commencer à répondre, on peut  parier sur l’insensibilité et  l’inculture littéraires qui sont savamment entretenus dans notre pays depuis longtemps. Mais nous ne parlerons pas d’avantage de ces deux points qui exigeraient des développements longs et hors de notre sujet.

Une  raison plus directe et plus immédiate réside en ce que l’on nous serine en France  que l’amour de son pays est une attitude quasi-fasciste. Un français d’aujourd’hui ne peut donc avoir que la plus grande difficulté à comprendre un film où au nom du patriotisme, des civils britanniques, au péril de leur vie, viennent sauver ce qui reste de leur armée menacée instamment de destruction par…une armée fasciste !...

Il est par conséquent illusoire d’attendre du public et de la critique de notre pays qu’ils puissent résoudre une telle contradiction, et qu’ils vibrent aux accents britanniques de ce film alors qu’ils ne sont  pas eux-mêmes susceptibles de ressentir le moindre élan français. Au mieux y verront-t-ils un bon suspense, mais plus vraisemblablement un blockbuster de super-héros, de type « Captain  Albion  contre les méchants nazis".

C’est triste, mais c’est ainsi. Et ce n’est pas tout. Car il y a également des reproches de fond qui sont faits au film de Christopher Nolan, que nous évaluerons dans le prochain épisode cette publication.