Deux récents épisodes médiatiques viennent de remettre un
court instant sur le devant de la scène la question de la place qu’occupent les
« français de souche » en France. A n’en pas douter, on ne parlera
plus de ce sujet pendant longtemps, puisque la pensée dominante ne l’apprécie guère.
Alors, j’en profite pour exprimer quelques modestes réflexions.
On passera rapidement sur les faits eux-mêmes, qui ont été
rapportés et commentés moulte fois dans la presse et sur internet. Lors d’une
émission télévisée consacrée au ministre de l’Intérieur, Alain Finkielkraut a
évoqué l’existence de « français de souche qu’il ne faudrait pas
oublier». Il s’en est suivi une plainte portée par deux membres du parti
socialiste à l’instance compétente. A l’occasion
de l’émission « On n’est pas couché » du 3 mars, Denis Tillinac a
employé cette même expression, vertement critiqué par ses interviouveurs Aymeric Caron et Laurent Ruquier, puis tancé par un rappeur invité dont je n’ai
pas retenu le nom.
Ces incidents soulèvent des interrogations très nombreuses,
et je n’aurais pas la prétention de les épuiser toutes. Je me contenterais de n’en
aborder que certaines d’entres elles.
Aymeric Caron, prophète irrité et sociologue pointilleux, demandait
à Denis Tillinac, en forme de piège, comment se définit un français de souche. Il
sous-entendait, bien entendu, que faute d’une définition précise et juste, l’invocation
de cette notion ne saurait se justifier. L’argument est fort discutable.
En effet, il est tout à fait envisageable de parler de choses
mal définies, je dirais même que nous le faisons multi-quotidiennement, sans
gêne excessive. Le monde universitaire, lui-même féru à juste titre de définitions
rigoureuses et de typologies pertinentes, se heurte à des difficultés sans noms,
et produit des débats homériques sur ce
genre de sujets, ce qui ne l’empêche pas de développer théories et
raisonnements (dont certaines, oh surprise, s’avèrent justes).
D’ailleurs, on apprécie bien la rigueur, mais on l’apprécie
encore plus lorsqu’elle prétend s’appliquer partout. Or, on observe, pour ne
prendre que cet exemple, que les marxistes eux-mêmes, on renoncé à définir la
notion de classe sociale, (que soit dit en passant Marx lui-même s’était bien
gardé de définir) base de leur dialectique. Ca ne les empêche pas de nous
bassiner depuis un siècle avec la lutte des classes, et tutti quanti.
Cet argument théorique étant donc évacué, venons-en à la pratique :
est-il si difficile que cela de définir un français de souche ? oui, en un
sens, car ce n’est pas dans la tradition française, il est assez désagréable de
le faire ( c’est d’ailleurs en cela qu’il s’agit d’un piège caronesque) et la question en elle-même aurait d’ailleurs
parue totalement incongrue il y a seulement vingt ans. De fait, puisqu’il faudrait
parait-il répondre, une solution simple me
semble figurer dans l’esprit de celui qui la pose. Puisqu’il n’a de cesse d’évoquer
les « français issus de l’immigration », notion pas plus définie que la
précédente d’ailleurs, le "français de
souche" est donc celui qui n’est pas issu de l’immigration.
Et l’on en vient à la première question de fond, exprimée
par les contradicteurs de Finkielkraut et Tillinac : existe-t-il un
français non issu de l’immigration?
Et bien, à la grande surprise d’Aymeric Caron et du rappeur
dont j’ai oublié le blase, je réponds sans ambage : oui. Pourquoi ? Parce
que votre serviteur en est un. Qu’est-ce qui me permet de l’affirmer ? Les
travaux généalogiques qui démontrent qu’aucun de mes ancêtres, jusqu’au 17 ième
siècle au moins, n’est d’origine étrangère.
Or ce cas personnel n’est en rien
original, il n’est en rien intéressant, et je suis persuadé du reste qu’il se
confond avec celui d’une proportion majoritaire des français actuels.Il n’y a évidemment aucune fierté, ni aucune honte, ni
aucune conclusion politique à l’observer :
c’est un simple fait. Quant à devoir l’exprimer, comme c’est le cas dans ces
lignes, je n’en vois l’utilité que du
seul fait des interrogations de ceux qui prétendent qu’un français de souche, « ça
n’existe pas ». Mais vraiment, fallait-il devoir aller jusque là ?
Puisque donc cette
simple réalité est obstinément niée, on vient à se poser une autre question :
un français non-issu de l’immigration existe-il, est-il sensé exister ?
Puisqu’il serait interdit de prononcer le mot, puisqu’il faut nier la
chose, c’est donc qu’il y a un impératif
à l’escamoter. Aux yeux des
contradicteurs de Finkielkraut et Tillinac, elle doit disparaître d’abord des
discours, puis sans doute après de la réalité. Quoique consistant le passé de
notre pays, son présent très majoritairement, et espérons-le encore son avenir,
le français non-issu de l’immigration n’a pas sa place dans l’espace politique,
médiatique, journalistique, et littéraire. Dans notre monde moderne, il n’existe
donc pas. Certains s’en réjouiront :
votre serviteur n’existe pas !
Alors, la partie du peuple français qui n’a pas l’heur d’avoir des ancêtres
étrangers (pour paraphraser grossièrement
Bossuet) n’est plus qu’un cadavre, non, pas même un cadavre,
mais un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. Français de ….