vendredi 7 septembre 2012

Féodalité et révision de l'Histoire

Je me suis rendu dans de nombreux sites normands ces derniers mois, et je suis bien obligé de constater, chez les guides du patrimoine aussi bien que sur les pancartes, une tendance alarmante par sa récurrence.

On sait que la Normandie a été le théâtre de la rivalité des Plantagenêts et des Capétiens, et notamment de Richard Coeur-de-Lion et de Philippe-Auguste. Or, j'entends très souvent, trop souvent dire que la Normandie était anglaise et qu'elle est rattachée à la France par Philippe-Auguste. 

C'est un grave contresens historique. Tout d'abord, il serait plus juste de dire que l'Angleterre était normande que l'inverse. Mais surtout, la Normandie était un fief. Un duché, que les rois d'Angleterre, ducs de Normandie, tenaient des rois de France en qualité de vassaux. 

Ce n'est pourtant pas très compliqué à comprendre, la féodalité. Un seigneur possède en propre une terre, un alleu. Il la concède à un autre en tant que tenure, en tant que fief. Le personnage investit de ce fief est un vassal. C'est un contrat entre deux personnes. Le vassal est l'usufruitier du fief, pas son propriétaire. Avec son fief, il reçoit un ensemble de droits et de devoirs : il lui faut s'acquitter de ces devoirs, sans quoi il peut être dessaisi de son fief, et le droit féodal prévoit ce cas de figure. Un fief n'est donc nullement un territoire indépendant. La Normandie était un duché mouvant de la couronne de France, et pas d'Angleterre. Elle fut donc rattachée non pas à la France, dont elle faisait déjà partie, mais au domaine royal, ce qui est fort différent.

Il n'y a d'ailleurs pas qu'en Normandie qu'on entende des menteries semblables, parfaites pour continuer à déchirer notre cohésion nationale qui part en lambeaux. Les Bretons, les Occitans, les Bourguignons se sentent tous obligés d'enquiquiner le pauvre monde avec leur glorieux passé, passé dont ils refusent de comprendre la nature féodale. J'ai ainsi pu entendre un connard languedocien se plaindre que les Français soient venus envahir les terres du roi de Toulouse, et par "roi de Toulouse" il entendait le comte de Toulouse. Pas de bol, les comtes de Toulouse, malgré leur autonomie effective, étaient aussi des vassaux, et pas des potentats indépendants.

D'ailleurs, c'est bien simple, regardez à quoi ressemblait la Francia occidentalis à la fin du Xème siècle :


Le domaine royal, c'est le truc bleu. Si on décrète que la France n'était que le domaine royal, sur lequel le roi exerçait un contrôle direct, ce n'était donc pas grand-chose que notre pays. Mais cette lecture, prisée par les régionalistes, est fausse, car elle méconnaît l'importance très réelle de la féodalité dans la vie politique et sociale de l'époque. Même aux temps de la plus grande faiblesse des Capétiens, ils restaient, en droit, les suzerains de tout le royaume.

Certes, il n'était pas toujours facile pour un suzerain d'obliger son vassal à s'acquitter, en pratique, de ses obligations féodales. Et il est bien évident que, pour les Capétiens, avoir pour vassaux des rois plus puissants qu'eux n'avait rien d'une sinécure. Souvent, ils furent à peu près incapables de se faire obéir de certains grands feudataires. En fait, les vassaux, depuis leur apparition aux temps carolingiens où ils étaient grosso modo des fonctionnaires, se montrèrent de plus en plus indépendants, finissant par se transmettre leurs titres de manière héréditaire et par ne plus faire grand cas de leurs obligations. C'est l'exemple même des transgressions du droit qui, si elles ne sont pas sanctionnées, finissent par paraître normales et par acquérir force de loi au bout d'un moment. 

Mais même lorsque certains de ces vassaux se montraient indociles ou rebelles, le lien subsistait. Le droit garde sa respectabilité, même lorsqu'il n'est pas appliqué, et les grands feudataires ne pouvaient pas complètement ignorer ce droit pour la simple et bonne raison que leur pouvoir à eux aussi était féodal : ils étaient eux-même les suzerains d'autres seigneurs, dont ils entendaient être obéis et auxquels il ne fallait pas donner le mauvais exemple.

Même les vassaux turbulents restaient très conscients de ce lien féodal, et savaient en utiliser les avantages : le suzerain devait protection à son vassal, et les comtes de Toulouse profitèrent à plusieurs reprises de cet état de fait pour se placer sous la protection des rois de France. Du reste, une absence de pouvoir direct ne signifie pas une absence d'influence : Philippe-Auguste reçut ainsi des missives de bourgeois narbonnais qui, le reconnaissant pour leur seigneur, lui demandaient de virer le comte fissa. Certes, ils y avaient intérêt pour leurs propres affaires, mais au moins cela montre qu'ils étaient capable de comprendre leur appartenance au royaume, malgré l'émiettement féodal.

En somme, feindre de considérer les fiefs comme des territoires légitimement indépendants que les méchants Français seraient venus envahir, ce n'est pas seulement commettre une erreur historique, c'est aussi avoir une mentalité de crapule.

Cela revient à dire qu'un patron qui exige d'obtenir de ses employés l'application stricte des termes de leurs contrats, en mettant un terme à des passe-droits devenus la norme après des années de laxisme, est abusif.

Cela revient à dire qu'un locataire devient propriétaire de son logement dès qu'il refuse de payer son loyer.

Cela revient à dire que, dans les zones de non-droit de Marseille ou d'ailleurs, les policiers sont des envahisseurs dont l'intrusion n'est pas légitime, alors que les racailles qui les reçoivent à la chevrotine sont dans leur bon droit.

Ah, mais on me prévient dans mon oreillette qu'il y a des gens qui tiennent ces discours, et que d'ailleurs ils appartiennent aux mêmes groupements idéologiques que mes saboteurs d'Histoire. Tout va bien alors ! Et moi qui m'inquiétait. Il faut le leur reconnaître : ils sont d'une parfaite cohérence idéologique.

15 commentaires:

  1. Merci de préciser ces notions que peu de gens saisissent. Il est certain que l'hérédité des fiefs a été à l'origine de bien des "malentendus" historiques. Ce fut une erreur que les rois de France payèrent cher. D'un autre côté, les vavasseurs étant eux-mêmes héréditaires cela affaiblissait aussi les grands feudataires.

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  2. J'ai su tout cela, mais merci pour cette salutaire piqure de rappel.

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  3. Comme vous voyez, je m'occupe toujours de combats d'arrière-garde, mais vu le sabotage de la transmission de notre Histoire, orchestré par les Degauche dans le but inavoué de nous dissoudre, ce n'est peut-être pas complètement inutile.

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    1. Mordious !

      Votre relation du droit féodal est juste et parfaite.

      La France n'est pas un mirage du désert.

      C'est une réalité historique, juridique et politique.

      Quiconque prétendra le contraire recevra un coup de makila

      Parole de basque !!!!





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  4. Très intéressant. Nous n'allons quand même pas nous laisser dissoudre, après tout ça…

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  5. Et moi, je vous dis crotte !
    http://www.youtube.com/watch?v=FO5ZQSftGCk

    Coach Berny

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    1. Se canto !
      J'adore ce chant. C'est celui de mes amis du Lot qui la chantent en choeur à chaque repas que nous faisons ensemble.
      Merci Coach, je la prends !

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  6. Cela relève de la logique la plus rigoureuse.
    Amitiés.

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  7. Merci pour cet article très clair. C'est assez rare dans le genre "article didactique", donc bravo !

    Vos remarques me rappellent un passage du Moyen-Âge de Georges Duby, que j'ai commencé cet été sans le terminer, un peu effrayé par la densité du contenu et parfois perdu dans les interminables explications de l'auteur. Auriez-vous en tête un bouquin un peu plus calibré pour ceux qui ne connaissent que les grandes dates de cette période ?

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    1. Je vous recommanderais les ouvrages de Régine Pernoud, notamment "Pour en finir avec le Moyen Age" et Lumière du Moyen Age" qui constituent d'excellentes portes d'entrée pour cette époque.

      Si le Moyen Age vous intéresse, je puis également vous suggérer de suivre le blog suivant :

      http://matieredefrance.blogspot.fr/

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    2. En effet, Régine Pernoud. Ce nom est connu tant elle est citée parmi ceux qui ont "réhabilité" l'époque médiévale. Merci beaucoup !

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  8. Est ce que le contrat de vassalite est hereditaire

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  9. Est ce que le contrat de vassalite est hereditaire

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  10. Est ce que le contrat de vassalite est hereditaire

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  11. Est ce que le contrat de vassalite est hereditaire

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