Qu'il est loin le temps où se pratiquait la langue française ! La victoire d'Emmanuel Macron et de ses séides est aussi celle d'un vocabulaire inédit qui se superpose à la novlangue en usage depuis longtemps. Ne nous lamentons pas. C'est l'occasion de bien rire d'un ridicule contemporain de plus, et d'essayer humblement par son analyse d'en préciser davantage le caractère.
Prenons un exemple. Il suffit de tourner le bouton de sa radio, de sa télévision ou de se connecter sur l'appareil internétique de son choix pour entendre parler de manière un peu sibylline de "l'Ancien Monde". Ceux qui prononcent ces mots, journalistes, chroniqueurs, hommes politiques, s'enflent de prononcer une expression qu'ils considèrent comme si définitive, si opportune et si avantageuse. En seraient-ils l'auteur (qui d'ailleurs restera à jamais inconnu), qu'ils n'en tireraient pas de plus grande vanité. Il entre dans cette satisfaction quelque chose du plaisir de n'en être pas, puisque le ton employé par ces locuteurs indique sans ambiguïté qu'ils ne sauraient sans dégoût se situer eux-mêmes ailleurs que dans "le Nouveau Monde".
Mais qu'est-ce donc que cet Ancien Monde (j'y mets volontairement des majuscules).
Je suppose que cette expression est apparue lorsque l'Amérique été découverte par les européens modernes à la fin du XVeme siècle, ou peut-être après. Puisqu'il y avait alors nouveau monde, il fallait bien qu'il en fut un ancien, qui ne pouvait guère être que l'Europe, auquel, peut-être, on pouvait ajouter l'Orient et l'Afrique.
Nos modernes macronisés veulent-ils donc s'auto-désigner comme américains, par opposition à un monde ancien européen ? écartons tout de suite cette hypothèse saugrenue. Qu'il s'agisse de l'Amérique du Donald, ou de celle des héritiers de Chavez et Fidel, l'outre-atlantique d'aujourd'hui présente des traits trop vulgaires pour servir d'inspiration à des progressistes inspirés.
Et d'ailleurs l'Europe, celle de Schuman et Monnet, n'est-ce pas, pas celle de de Gaulle, of course, présente tant de commodités et de perspectives qu'il n'est rien de plus noble ni de plus urgent que de s'y inscrire avec une énergie renouvelée (cf discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne hier).
L'Ancien Monde n'est donc pas l'Europe, et il nous faut poursuivre ailleurs notre quête.
Il est en France une expression proche qui est utilisée pour désigner la monarchie d'avant la Révolution de 1789 : l'Ancien Régime. Tocqueville l'utilisait déjà ("L'Ancien Régime et la Révolution").
Mais il y a plus qu'une nuance entre cet "Ancien régime" et "l'Ancien Monde" de nos macro-compatibles. L'Ancien Régime exprime qu'il y a bien un changement politique profond intervenu à la fin du XVIIIeme siècle en France, ce qui est beaucoup, certes, mais pas plus. Il n'y a pas de modification géographique, encore moins tellurique, et pas davantage de changement d'ère, d'être, d'atmosphère ou de cieux. Le gouvernement s'en trouve bouleversé, mais les territoires, les hommes, et le temps restent les mêmes.
Voilà une ambition par trop mesurée pour des hommes de la stature de Richard Ferrand et ses amis. Car pour ces titans de l'Histoire de l'Humanité, c'est une fracture totale qui est intervenue le 7 mai 2017. Non seulement notre pays ne sera plus jamais dirigé comme au préalable, mais tout, y compris les dieux que nous adorons, l'air que nous respirons, la terre que nous foulons, l'eau que nous buvons, les paysages que nous contemplons, les personnes avec lesquelles nous commerçons, tout a été irrémédiablement transmuté par l'effet de notre alchimiste de président.
Émergeant de l'Ancien, apparaît en majesté ce Nouveau Monde jupitérien qui nous comble déjà de ses bienfaits et de ses merveilles, par la grâce de La République En Marche. Étrange, d'ailleurs, de se déclarer toujours en marche, lorsque l'on est déjà parvenu à bon port, et quel port, mais on ne s’arrêtera pas à un tel détail. L'essentiel est d'avoir mis fin totalement à l'Ancien Monde.
C'est à dire tout avant le 7 mai : les politiciens véreux, les méthodes douteuses, les promesses non-tenue, les grenouillages occultes, les pollueurs non-payeurs, les présidents normaux, les réactionnaires nauséabonds, les populistes démagogues, les attentats meurtriers, les animateurs radio débiles, les tribuns de la plèbe agités, les bourgeois homophobes, etc, etc...
On comprend mieux la moue dédaigneuse de ceux qui parlent souvent et volontiers de l'Ancien Monde : ce dernier ne présente pas bien. Il fait désordre avec ses relents de décadence. Et cet avant cacochyme, on le proclame caduc, haut et fort !
Mais aurait-on besoin de réitérer cet nouvelle si elle était si évidente et si vraie ?
Je laisse le soin au lecteur de répondre à cette question comme il l'entend.